Ainsi ai-je entendu : une fois, le Bienheureux séjournait au parc d’Anāthapiṇḍika, situé dans le bois de Jeta, près de la ville de Sāvatthi.

En ce temps-là, un jour, un bhikkhu nommé Ariṭṭha Gaddhabādhipubba (ancien chasseur de vautours) eut l’idée erronée suivante : « Des choses qui suscitent des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais selon ma compréhension de son Enseignement, elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit. »

De nombreux bhikkhus avaient entendu dire que le bhikkhu Ariṭṭha avait eu l’idée erronée suivante : « Des choses qui suscitent des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais selon ma compréhension de son Enseignement, elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit. » Alors, ces bhikkhus s’approchèrent du bhikkhu Ariṭṭha et ils lui dirent : « Est-il vrai, ô frère Ariṭṭha, que vous avez eu cette idée erronée : “Des choses qui suscitent des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais selon ma compréhension de son Enseignement, elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit” ? »

Le bhikkhu Ariṭṭha répondit : « C’est vrai, ô frères. J’ai cette idée : “Des choses qui suscitent des entraves sont indiquées, […], mais elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit. »

Ces bhikkhus alors, afin de détourner le bhikkhu Ariṭṭha de cette idée erronée, l’avertirent, l’interrogèrent, le réinterrogèrent, le conseillèrent vivement en disant : « Ne parlez pas de cette façon, ô frère Ariṭṭha. N’interprétez pas d’une manière inexacte la parole du Bienheureux. Ce n’est pas correct de mal interpréter la parole du Bienheureux. Le Bienheureux ne dirait jamais cela. Par contre, de maintes façons, le Bienheureux a indiqué des choses qui suscitent des entraves, et ces choses suscitent réellement des entraves pour celui qui les suit. Le Bienheureux dit que les plaisirs sensuels apportent peu de satisfaction, mais beaucoup de malaises, beaucoup d’insatisfactions et qu’ils présentent beaucoup de dangers. Le Bienheureux dit que les plaisirs sensuels sont comparables à un os, à un morceau de viande, à un flambeau de paille, à un puits de charbon, à un rêve de beau paysage, aux choses empruntées, à un arbre chargé de fruits, à l’abattoir, à la pointe de l’épée et à la tête d’un serpent. Ces plaisirs sensuels apportent peu de satisfaction, mais beaucoup de malaises, beaucoup d’insatisfactions et présentent beaucoup de dangers. »

Malgré les avertissements, interrogations, réinterrogations et conseils de la part de ces bhikkhus, le bhikkhu Ariṭṭha maintenait toujours fermement son idée erronée : « Des choses qui suscitent des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais selon ma compréhension de son Enseignement, elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit. »

N’ayant pu détourner le bhikkhu Ariṭṭha de son idée erronée, les bhikkhus s’approchèrent du Bienheureux. S’étant approchés du Bienheureux, ils lui rendirent hommage, puis s’assirent à l’écart sur un côté. S’étant assis à l’écart sur un côté, ils dirent : « Vénéré, à un bhikkhu nommé Ariṭṭha vint l’idée erronée suivante : “Des choses qui suscitent des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais […] elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit”. Alors nous nous sommes approchés du bhikkhu Ariṭṭha et lui avons demandé : Est-il vrai, ô frère Ariṭṭha, que vous avez l’idée erronée : “Des choses suscitant des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais […] elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit” ? Il nous répondit : C’est vrai, ô frères, j’ai cette idée : “Des choses suscitant des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais […] elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit”. Puis, Vénéré, afin de détourner le bhikkhu Ariṭṭha de cette idée erronée, nous lui avons dit : Ne parlez pas de cette façon, ô frère Ariṭṭha. […]. Malgré les avertissements, interrogations, réinterrogations et conseils de notre part, le bhikkhu Ariṭṭha maintient toujours fermement son idée erronée : “Des choses qui suscitent des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais […] elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit”. Vénéré, maintenant, si nous rapportons ce cas au Bienheureux, c’est parce que nous n’avons pu détourner le bhikkhu Ariṭṭha de son idée erronée. »

Le Bienheureux dit alors à un bhikkhu : « Allez, convoquez le bhikkhu Ariṭṭha en mon nom, en disant : Frère Ariṭṭha, le maître vous appelle. » En répondant « Oui, Vénéré », le bhikkhu s’approcha d’Ariṭṭha et l’informa : « Frère Ariṭṭha, le maître vous appelle. »

« Entendu, frère », répondit le bhikkhu Ariṭṭha, puis il s’approcha du Bienheureux. S’étant approché du Bienheureux, il lui rendit hommage, puis s’assit à l’écart sur un côté. Lorsque le bhikkhu Ariṭṭha fut assis à l’écart sur un côté, le Bienheureux lui dit : « Est-il vrai, ô Ariṭṭha, que vous avez eu cette idée erronée : “Des choses qui suscitent des entraves sont indiquées par le Bienheureux, mais […] elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit” ?

Le bhikkhu Ariṭṭha répondit : « C’est vrai, Vénéré. Il y a des choses indiquées par le Bienheureux comme suscitant des entraves. Mais, selon ma compréhension de son Enseignement, elles ne suscitent pas nécessairement des entraves pour celui qui les suit. »

Le Bienheureux dit : « De qui, ô homme immature, avez-vous entendu que j’ai enseigné la doctrine de cette manière ? Ô homme immature, n’ai-je pas indiqué de maintes façons les choses qui suscitent des entraves et dit qu’elles suscitent des entraves pour celui qui les suit ? Les plaisirs sensuels apportent peu de satisfactions, mais beaucoup de malaise, beaucoup d’insatisfactions et présentent beaucoup de dangers. Les plaisirs sensuels sont comparables à un os, […], à la tête d’un serpent. Cependant vous, ô homme immature, en présentant de façon erronée une idée que vous avez saisie de façon incorrecte, non seulement vous m’interprétez d’une manière injuste, mais aussi vous sapez votre avenir et vous laissez se produire beaucoup de démérites. Cela vous apportera, ô homme stupide, beaucoup de malaise, beaucoup de malheur, pendant longtemps. »

Ensuite, le Bienheureux s’adressa aux autres bhikkhus : « Qu’en pensez-vous, ô bhikkhus ? Le bhikkhu Ariṭṭha a-t-il trouvé la moindre chaleur de cette doctrine et de cette discipline ? »

Les bhikkhus répondirent : « Comment cela pourrait-il être, Vénéré ? Certainement non, Vénéré. »

Ceci étant dit, le bhikkhu Ariṭṭha restait assis en silence, honteux, les épaules tombantes, le visage baissé et incapable de parler.

Ayant compris la situation du bhikkhu Ariṭṭha qui restait assis en silence, honteux, les épaules tombantes, le visage baissé et incapable de parler, le Bienheureux s’adressa à lui et dit : « Vous serez connu, ô homme stupide, par votre propre idée erronée. À ce propos je vais interroger les autres. »

Puis le Bienheureux s’adressa aux bhikkhus et dit : « Ô bhikkhus, connaissez-vous et comprenez-vous la doctrine enseignée par moi, de la même façon qu’elle est comprise par le bhikkhu Ariṭṭha qui a parlé contre moi en exprimant de façon erronée une idée incorrectement saisie ?

– Certainement non, Vénéré. De maintes façons, le Bienheureux nous a expliqué les choses qui suscitent des entraves et qu’elles suscitent nécessairement des entraves pour celui qui les suit. Le Bienheureux nous dit que les plaisirs sensuels apportent peu de satisfactions, mais beaucoup de malaise, beaucoup d’insatisfactions, et présentent beaucoup de dangers. Les plaisirs sensuels sont comparables à un os, à un morceau de viande, […], à la tête d’un serpent. Ainsi, le Bienheureux dit que les plaisirs sensuels apportent peu de satisfactions, mais beaucoup de malaise, beaucoup d’insatisfactions et présentent beaucoup de dangers.

– Très bien, ô bhikkhus, c’est une très bonne chose que vous ayez ainsi compris la doctrine que j’ai enseignée. De maintes façons, j’ai parlé des choses qui suscitent des entraves. Vraiment, elles suscitent des entraves pour celui qui les suit. Les plaisirs sensuels, comme je le dis, apportent peu de satisfaction, mais beaucoup de malaise, beaucoup d’insatisfactions, et présentent beaucoup de dangers. […]. Pourtant, le bhikkhu Ariṭṭha parle contre nous en présentant de façon erronée une idée qu’il a saisie de façon incorrecte. Il sape ainsi son propre avenir et il rassemble beaucoup de démérites. Cela apportera à cet homme stupide beaucoup de malheurs et de souffrances pendant longtemps. Vraiment, ô bhikkhus, il n’est pas possible de chercher et de goûter les plaisirs sensuels sans avoir des désirs sensuels, sans avoir de perceptions concernant ces désirs sensuels, sans une pensée les concernant.

Il existe ici, ô bhikkhus, certains individus immatures qui apprennent la doctrine prêchée par moi [dans laquelle se trouvent ces neuf sections] : sutta, geyya, veyyākaraṇa, gāthā, udāna, iti-vuttaka, jātaka, abbhuta-dhamma et vèdalla. L’ayant apprise, ils n’examinent pourtant pas soigneusement le but [de ces enseignements] avec perspicacité. Or, à ceux qui n’examinent pas soigneusement le but [de ces enseignements] avec perspicacité, ces enseignements n’apportent pas la compréhension. Ils apprennent ces enseignements seulement pour les utiliser en vue de critiquer ou de réfuter les autres dans les débats. Ils ne sentent pas le vrai but pour lequel ils auraient dû apprendre ces enseignements. À ceux qui les ont saisis d’une façon incorrecte, ces enseignements apporteront le malheur et la souffrance pour longtemps. Quelle en est la raison ? La raison est leur saisie incorrecte des enseignements. Supposons, ô bhikkhus, qu’un homme qui a besoin d’un serpent cherche un serpent et qu’il parte pour en chercher un. Il voit alors un long serpent et lorsqu’il l’attrape par le corps ou par la queue, le serpent se tourne vers lui et le mord à la main ou au bras ou à une autre partie de son corps. L’homme éprouve alors la mort ou une douleur mortelle. Quelle en est la raison ? La raison est sa saisie incorrecte du serpent. De même, ô bhikkhus, il existe ici certains individus immatures qui apprennent la doctrine […], mais n’examinent pas soigneusement le but [de ces enseignements] avec perspicacité. […]. À ceux qui ont saisi ces enseignements d’une façon incorrecte, ceux-ci apportent le malheur et la souffrance pour longtemps. Quelle en est la raison ? La raison en est leur saisie incorrecte des enseignements.

Cependant, ô bhikkhus, il existe ici certains fils de familles qui apprennent la doctrine […]. L’ayant apprise, ils examinent soigneusement le but [de ces enseignements] avec perspicacité. À ceux qui examinent soigneusement le but [de ces enseignements], ces enseignements apportent la compréhension. Ils n’apprennent pas ces enseignements afin de les utiliser pour critiquer ou réfuter les autres dans les débats. Ils sentent le vrai but pour lequel ils ont appris ces enseignements. À ceux qui les ont saisis d’une façon correcte, ces enseignements apporteront le bien-être et le bonheur pour longtemps. Quelle en est la raison ? La raison est leur saisie correcte des enseignements. Supposons, ô bhikkhus, qu’un homme qui a besoin d’un serpent, cherche un serpent et qu’il parte pour en chercher un. Il voit alors un serpent, il le maintient à terre à l’aide d’une fourche. L’ayant fait, il attrape le serpent fermement par le cou. Alors, bien que le serpent s’entortille autour de la main, ou du bras ou d’une autre partie du corps, avec ses anneaux, l’homme n’éprouve ni la mort ni une douleur mortelle. Quelle en est la raison ? La raison est sa saisie correcte du serpent. De même, ô bhikkhus, il y a ici certains fils de famille qui apprennent la doctrine […]. L’ayant apprise ils examinent soigneusement le but [de ces enseignements] avec perspicacité. […]. À ceux qui les ont saisis d’une façon correcte, ces enseignements apporteront le bien-être et le bonheur pour longtemps. Quelle en est la raison ? La raison est leur saisie correcte des enseignements.

Ainsi, ô bhikkhus, si vous connaissez le but de ce que j’ai enseigné, vous devez le garder comme tel dans votre mémoire. Par contre, si vous ne connaissez pas le but de ce que j’ai enseigné, dans ce cas-là, vous devez m’interroger ou bien vous devez interroger un disciple savant. Je vais enseigner, ô bhikkhus, la doctrine comparable à un radeau qui a pour but de traverser, mais non pas de se l’approprier. Écoutez, fixez votre attention. Je vais vous en parler.

« Oui, Vénéré », répondirent ces bhikkhus.

Le Bienheureux dit : « Supposons, ô bhikkhus, qu’un homme, au cours d’une longue route, voie une grande étendue d’eau dont cette rive est dangereuse et effrayante, tandis que l’autre rive est en sécurité et sans danger. Cependant, pour lui, il n’y a ni bateau pour traverser ni pont pour gagner l’autre rive. Alors, l’homme pense : “C’est une grande étendue d’eau et cette rive est dangereuse et effrayante, tandis que l’autre rive est en sécurité et sans danger. Pourtant, il n’y a ni bateau pour traverser ni pont pour gagner l’autre rive. Si je rassemblais des herbes, des pièces de bois, des branches et des feuillages et si j’en fabriquais un radeau ?” Et alors, ô bhikkhus, cet homme rassemble des herbes, des pièces de bois, des branches et des feuillages et ils les attachent ensemble et prépare un radeau. Puis avec l’aide de ce radeau, et celle de ses propres mains et pieds, cet homme parvient sain et sauf sur l’autre rive. À cet homme qui a ainsi traversé et est ainsi arrivé sur l’autre rive, vient cette idée : “Vraiment, ce radeau me fut très utile. C’est avec l’aide de ce radeau, et celle de mes propres mains et pieds, que je suis parvenu sain et sauf sur cette rive. Il faut que j’emporte ce radeau avec moi là où je vais, en le portant sur ma tête ou sur mes épaules.” Maintenant, qu’en pensez-vous, ô bhikkhus ? Réagissant ainsi, est-ce que cet homme ferait ce qu’il faut faire avec un radeau ?

– Certainement non, Vénéré.

– Alors, ô bhikkhus, c’est en réagissant de quelle façon que cet homme fera ce qu’il faut avec radeau ? Ayant traversé et étant arrivé sur l’autre rive, cet homme pense : “Vraiment, ce radeau me fut très utile. C’est avec l’aide de ce radeau, et celle de mes propres mains et pieds, que je suis parvenu sur cette rive. Maintenant, il faut que je tire ce radeau vers la terre ferme, ou bien que je le laisse sur l’eau et puis je vais où je veux.” C’est en réagissant ainsi, ô bhikkhus, que cet homme fera ce qu’il doit faire avec un radeau. De même, ô bhikkhus, j’ai enseigné une doctrine semblable à un radeau, afin de traverser, mais non pas de s’en saisir. Vous, ô bhikkhus, qui comprenez que l’enseignement est semblable à un radeau, vous devriez abandonner même les bonnes choses et combien plus encore les mauvaises !

Il existe, ô bhikkhus, six bases pour les opinions erronées. Quelles sont-elles ? Il y a ici un puthujjana qui n’apprécie pas les êtres nobles, qui est incapable de suivre l’enseignement des êtres nobles, qui n’est pas entraîné dans l’enseignement des êtres nobles, qui n’apprécie pas les sages, qui est incapable de suivre l’enseignement des sages, qui n’est pas entraîné dans l’enseignement des sages. En ce qui concerne la forme matérielle, il considère : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon Soi.” En ce qui concerne la sensation, il considère : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon Soi.” En ce qui concerne la perception, il considère : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon Soi.” En ce qui concerne les composants volitionnels, il considère : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon Soi.” En ce qui concerne tout ce qu’il a vu, entendu, tout ce qu’il s’est rappelé, tout ce qu’il a connu, atteint, retrouvé, cherché, tout ce à quoi il a réfléchi, il considère : Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon Soi.” [Pour lui], il existe aussi une autre base pour les opinions erronées, il dit : “Cet univers est mon Soi, et après la mort, je serai Cela, qui est permanent, qui demeure toujours, qui dure, qui ne change jamais et j’existerai comme tel pour l’éternité” et en ce qui concerne cette notion, il considère : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon Soi.”

Cependant, ô bhikkhus, il y a ici un disciple bien instruit qui apprécie les êtres nobles, qui est capable de suivre l’enseignement des êtres nobles, qui est entraîné dans l’enseignement des êtres nobles, qui apprécie les sages, qui est capable de suivre l’enseignement des sages, qui est entraîné dans l’enseignement des sages. En ce qui concerne la forme matérielle, il considère : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon Soi.” En ce qui concerne, la sensation […]. En ce qui concerne la perception […]. En ce qui concerne les composants volitionnels […]. En ce qui concerne tout ce qu’il a vu, entendu, tout ce qu’il s’est rappelé, tout ce qu’il a connu, atteint, retrouvé, cherché, tout ce à quoi il a réfléchi, il considère : Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon Soi.” En pensant ainsi, il ne s’inquiète pas de ce qui concerne des choses inexistantes.

Cela étant dit, un des bhikkhus [dans l’auditoire] demanda au Bienheureux : « Est-il possible, Bienheureux, qu’il existe une inquiétude concernant des choses extérieures et inexistantes ?

– C’est possible, ô bhikkhu, répondit le Bienheureux, dans ce cas-là, supposons que quelqu’un pense ainsi : “Oh ! je l’avais, mais hélas, je ne l’ai plus. Oh, si je pouvais l’avoir encore ! Mais hélas, je ne peux pas l’avoir.” De cette façon, il s’attriste, se lamente, se frappant la poitrine et gémissant, il s’égare. C’est ainsi, ô bhikkhu, qu’il existe une inquiétude concernant des choses extérieures et inexistantes.

– Cependant, Bienheureux, est-il possible qu’il existe une absence d’inquiétude concernant des choses extérieures et inexistantes ?

– C’est possible, ô bhikkhu. Dans ce cas, supposons que quelqu’un ne pense pas ainsi : “Oh, je l’avais, mais hélas, je ne l’ai plus. Oh, si je pouvais l’avoir encore ! Mais hélas, je ne peux pas l’avoir.” Alors, il ne s’attriste pas, ne se lamente pas ; il ne se frappe pas la poitrine, il ne gémit pas, et il ne s’égare pas. C’est ainsi, ô bhikkhu, qu’il existe une absence d’inquiétude concernant des choses extérieures et inexistantes.

– Cependant, ô Bienheureux, est-il possible qu’il existe une inquiétude concernant des choses intérieures et inexistantes ?

– C’est possible, ô bhikkhu. Dans ce cas, supposons que quelqu’un ait cette notion : “Cet univers est ce Soi, et après la mort je serai cela, qui est permanent, qui demeure toujours, qui dure, qui ne change jamais et j’existerai comme tel pour l’éternité.” Puis, il entend le Tathāgata ou un de ses disciples prêchant la doctrine tendant à la destruction complète des opinions erronées, des préjugés, des obsessions, des dogmes, des inclinations et tendant à apaiser toutes les créations mentales, à supprimer tous les substrats de l’existence, tendant à l’extinction de la ‘soif’, tendant au désenchantement, à la cessation, au nibbāna. L’ayant entendu, cet homme pense : “Oh, je serai anéanti, je serai détruit, je ne serai plus.” Alors, il s’attriste, se lamente, en se frappant la poitrine et en gémissant, il s’égare. C’est ainsi, ô bhikkhu, qu’il existe une inquiétude concernant des choses intérieures et inexistantes.

– Cependant, Bienheureux, est-il possible qu’il existe une absence d’inquiétude concernant des choses intérieures et inexistantes ?

– C’est possible, ô bhikkhu. Dans ce cas, supposons que quelqu’un n’ait pas cette pensée : “Cet univers est ce Soi et après la mort je serai Cela, qui est permanent, qui demeure toujours, qui dure, qui ne change jamais et j’existerai comme tel pour l’éternité.” Puis, il entend le Tathāgata ou un de ses disciples prêchant la doctrine tendant à la destruction complète des opinions erronées […], tendant au désenchantement, à la cessation, au nibbāna. L’ayant entendu, cet homme ne pense pas : “Oh, je serai anéanti, je serai détruit, je ne serai plus !” Alors, il ne s’attriste pas, il ne se lamente pas, il ne se frappe pas la poitrine, il ne gémit pas et il ne s’égare pas. C’est ainsi, ô bhikkhu, qu’il existe une absence d’inquiétude concernant des choses intérieures et inexistantes.

[Ensuite, le Bouddha s’adresse aux bhikkhus] : Saisissez-vous, ô bhikkhus, [si vous le voulez], d’une situation à condition qu’elle soit permanente, stable, immuable, telle qu’on puisse demeurer éternellement dans la même condition. Cependant, est-ce que vous voyez une situation permanente, stable, immuable, telle qu’on puisse y demeurer éternellement dans la même condition ?

– Certainement non, Vénéré.

– Moi non plus, ô bhikkhus, je ne vois nulle part une situation permanente, stable, immuable, telle qu’on puisse demeurer éternellement dans la même condition. Attachez-vous, ô bhikkhus, [si vous le voulez], à une théorie du Soi à condition que cet attachement n’engendre ni malaise, ni lamentation, ni douleur, ni affliction, ni tribulations chez celui qui s’y attache. Cependant, est-ce que vous voyez une théorie du Soi dont l’attachement n’engendre ni malaise, ni lamentation, ni douleur, ni affliction, ni tribulations chez celui qui s’y attache ?

– Certainement non, Vénéré.

– Moi non plus, ô bhikkhus, je ne vois nulle part une théorie du Soi dont l’attachement n’engendre ni malaise, ni lamentation, ni douleur, ni affliction, ni tribulations chez celui qui s’y attache. Dépendez, ô bhikkhus, [si vous le voulez], d’une opinion à condition que cette dépendance n’engendre ni malaise, ni lamentation, ni douleur, ni tribulations chez celui qui en dépend. Cependant, est-ce que vous voyez une opinion dont la dépendance n’engendre ni malaise, ni lamentation, ni douleur, ni affliction, ni tribulations chez celui qui en dépend ?

– Certainement non, Vénéré.

– Moi non plus, ô bhikkhus, je ne vois nulle part une opinion dont la dépendance n’engendre ni malaise, ni lamentation, ni douleur, ni affliction, ni tribulations chez celui qui en dépend. Si quelqu’un a la notion du Soi, n’est-ce pas alors qu’il lui vient cette idée : Cette chose appartenant au Soi est à moi ?

– C’est exact, Vénéré.

– Ô bhikkhus, si quelqu’un a cette idée : “Cette chose appartenant au Soi est à moi”, n’est-ce pas alors qu’il lui vient cette idée : Le Soi est à moi ?

– C’est exact, Vénéré.

– Cependant, en vérité et en réalité, ni Soi, ni aucune chose appartenant au Soi ne peut se trouver et, par conséquent, la base d’opinion erronée telle que “cet univers est ce Soi, et après la mort je serai Cela, qui est permanent, qui demeure toujours, qui dure, qui ne change jamais, et j’existerai comme tel pour l’éternité”, n’est-ce pas purement et simplement une idée stupide ?

– Elle ne peut être autrement, Vénéré. C’est purement et simplement une idée stupide.

– Qu’en pensez-vous, ô bhikkhus ? Les formes matérielles sont-elles permanentes ou non permanentes ?

– Les formes matérielles sont non permanentes, Vénéré.

– Si une chose est non permanente, est-elle insatisfaisante ou satisfaisante ?

– Elle est insatisfaisante, Vénéré.

– Alors donc, de ce qui est non permanent, insatisfaisant, sujet au changement, peut-on dire : Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon Soi ?

– Certainement non, Vénéré.

[Même démonstration est faite avec les quatre autres agrégats : sensations, perceptions, composants volitionnels et consciences. Puis le Bienheureux explique.]

– Ainsi donc, ô bhikkhus, toutes les formes matérielles appartenant au passé, à l’avenir ou au futur, intérieures ou extérieures, grossières ou subtiles, inférieures ou supérieures, situées loin ou près, toutes les formes matérielles, doivent être vues ainsi : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon Soi.”

Toutes les sensations […] doivent être vues ainsi : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon Soi.” Toutes les perceptions […] doivent être vues ainsi : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon Soi.” Tous les composants volitionnels […] doivent être vus ainsi : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon Soi.” Toutes les consciences […] doivent être vues ainsi : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon Soi.”

En voyant ainsi, le disciple noble est désenchanté des formes matérielles ; il est désenchanté des sensations ; il est désenchanté des perceptions ; il est désenchanté des composants volitionnels ; il est désenchanté des consciences. Lorsqu’il est désenchanté, il se détache du désir ; lorsqu’il s’est désenchanté du désir, il se libère. Quand il est libéré, vient la connaissance “ceci est la libération”, il sait : “la naissance est détruite, la conduite sublime est vécue, ce qui devait être achevé est achevé, plus rien ne demeure à accomplir.” Ainsi, ô bhikkhus, on peut dire aussi que ce bhikkhu a levé la barrière ; on peut dire aussi qu’il a comblé le fossé ; on peut dire aussi qu’il a arraché le poteau ; on peut dire aussi qu’il a retiré les verrous ; on peut dire aussi qu’il est un noble disciple qui a baissé pavillon, qui a laissé le fardeau à terre ; on peut dire aussi qu’il est devenu quelqu’un sans obstacle.

Et comment, ô bhikkhus, ce bhikkhu est-il devenu quelqu’un qui a levé la barrière ? C’est que ce renonçant a abandonné l’ignorance, il l’a tranchée à la racine, l’a rendue pareille à la souche de palmier qui ne pourrait revenir à la vie. C’est ainsi, ô bhikkhus, que ce bhikkhu est devenu quelqu’un qui a levé la barrière.

Et comment, ô bhikkhus, ce bhikkhu est-il devenu quelqu’un qui a comblé le fossé ? C’est que ce renonçant a abandonné la série des naissances qui produit le redevenir. Il l’a tranchée à la racine, rendue pareille à une souche de palmier qui ne pourrait revenir à la vie. C’est ainsi, ô bhikkhus, que ce bhikkhu est devenu quelqu’un qui a comblé le fossé.

Et comment, ô bhikkhus, ce bhikkhu est-il devenu quelqu’un qui a arraché le poteau ? C’est que ce renonçant a abandonné la ‘soif’, il l’a tranchée à la racine, l’a rendue pareille à une souche de palmier qui ne pourrait revenir à la vie. C’est ainsi, ô bhikkhus, que ce bhikkhu est devenu quelqu’un qui a arraché le poteau.

Et comment, ô bhikkhus, ce bhikkhu est-il devenu quelqu’un qui a retiré les verrous ? C’est que ce renonçant a abandonné les cinq liens inférieurs, ils les a tranchés à la racine, rendus pareils à la souche de palmier qui ne pourrait revenir à la vie. C’est ainsi, ô bhikkhus, que ce bhikkhu est devenu quelqu’un qui a retiré les verrous.

Et comment, ô bhikkhus, ce bhikkhu est-il devenu quelqu’un qui a baissé pavillon, qui a laissé le fardeau à terre, qui est devenu sans obstacle ? C’est que ce renonçant a abandonné la prétention de « Je suis » et il l’a tranchée à la racine, l’a rendue pareille à une souche de palmier qui ne pourrait revenir à la vie. C’est ainsi, ô bhikkhus, que ce bhikkhu est devenu un être noble qui a baissé pavillon, qui a laissé le fardeau à terre, qui est devenu sans obstacle.

Lorsque la pensée est ainsi libérée, ni les dieux avec leur Indra, ni les dieux avec leur Brahmā, ni les dieux avec leur Pajāpati, ne réussissent à retrouver la place sur laquelle est fondée la conscience de ce Tathāgata. Quelle en est la raison ? Je dis, ô bhikkhus, que le Tathāgata n’est pas trouvable déjà dans cette vie même. Lorsque je dis cela, lorsque j’affirme cela, certains samanas et brāhmanes m’accusent d’une façon incorrecte, vaine et fausse, en disant : “Le Samana Gōtama est un nihiliste. Il enseigne l’annihilation, la non-existence de l’être qui existe [pourtant].” C’est là, vraiment, ô bhikkhus, ce que je n’enseigne pas. Bien que je n’enseigne pas une chose pareille, bien que je n’affirme pas une chose pareille, certains samanas et brāhmanes m’accusent d’une façon incorrecte, vaine et fausse, en disant : “Le Samana Gōtama est un nihiliste. Il enseigne l’annihilation, il enseigne la non-existence de l’être qui existe [pourtant].” Moi, ô bhikkhus, maintenant tout comme avant, j’enseigne uniquement ces deux choses : dukkha et la cessation de dukkha.

À cause de cela, si les autres le dénoncent, l’offensent, l’injurient et l’insultent, le Tathāgata ne ressent ni malaise, ni découragement, ni insatisfaction. À cause de cela, si les autres le respectent, le révèrent, l’honorent, et le vénèrent, le Tathāgata ne ressent ni joie, ni jubilation ni exultation. Lorsque les autres le respectent, le révèrent, l’honorent et le vénèrent, le Tathāgata pense : “S’ils se comportent de cette façon, c’est à l’égard de ce que j’ai bien compris auparavant.”

Alors, à cause de cela, vous aussi, ô bhikkhus, lorsque les autres vous dénoncent, vous offensent, vous injurient et vous insultent, vous ne devez ressentir ni malaise, ni découragement ni insatisfaction. À cause de cela, ô bhikkhus, lorsque les autres vous respectent, vous révèrent, vous honorent et vous vénèrent, vous ne devez ressentir ni joie, ni jubilation ni exultation. Lorsque les autres vous respectent, vous révèrent, vous honorent et vous vénèrent, vous devez penser : S’ils se comportent de cette façon, c’est à l’égard de ce que nous avons bien compris auparavant.”

Alors donc, ô bhikkhus, ce qui n’est pas vôtre, abandonnez-le. Cet abandon vous apportera le bien-être et le bonheur pour longtemps. Qu’est-ce qui n’est pas vôtre ? La forme matérielle, ô bhikkhus, n’est pas vôtre. Abandonnez-la. Cet abandon vous apportera le bien-être et le bonheur pour longtemps. La sensation, ô bhikkhus, n’est pas vôtre. Abandonnez-la. Cet abandon vous apportera le bien-être et le bonheur pour longtemps.

[Même démonstration est faite avec les trois autres agrégats : perceptions, composants volitionnels et consciences. Puis le Bouddha demande.]

Qu’en pensez-vous, ô bhikkhus ? Si les gens emportent l’herbe, les pièces de bois, les branches et les feuillages de ce bois de Jeta, ou bien, si les gens les brûlent ou s’ils les détruisent comme bon leur semble, est-ce que vous pensez : “Ces gens-là nous emportent, ils nous brûlent, ils nous détruisent comme bon leur semble” ?

– Certainement non, Vénéré.

– Pourquoi non ?

– Parce que, Vénéré, cette herbe, etc., ne sont pas nôtres ni des éléments nous appartenant.

– De même, ô bhikkhus, ce qui n’est pas vôtre, abandonnez-le.

[Même démonstration est faite avec les quatre autres agrégats : sensation, perception, composants volitionnels et consciences. Puis le Bouddha dit.]

La doctrine, ô bhikkhus, est bien expliquée par moi. La doctrine est évidente, ouverte, bien exposée et elle n’est pas comme un tissu fait de pièces et de morceaux. Dans cette doctrine, bien expliquée, évidente, ouverte, bien exposée, et qui n’est pas comme un tissu fait de pièces et de morceaux, il n’existe pas de cycle d’existence qui puisse être attribué aux renonçants, Arahants, libérés des souillures mentales, qui ont vécu la conduite sublime, qui ont achevé ce qu’ils devaient achever, qui ont laissé le fardeau à terre, qui sont arrivés à leur but, qui ont supprimé les liens attachant à l’existence et qui ont atteint la libération au moyen de leur connaissance.

Dans cette doctrine bien expliquée […] tous les disciples qui ont supprimé complètement les cinq liens du bas côté auront une naissance spontanée et ils atteindront le parinibbāna là où ils sont nés de nouveau, car ils ne seront plus soumis à la nécessité de revenir en ce monde d’existence.

Dans cette doctrine bien expliquée […] tous les disciples qui ont supprimé partiellement les cinq liens du bas côté qui ont diminué le désir, l’aversion et l’égarement, sont les Sakadāgāmins, et ils retournent en ce monde d’existence seulement une fois, ainsi ils termineront dukkha.

Dans cette doctrine bien expliquée […] tous les disciples qui ont supprimé les trois liens du bas côté, sont les Sōtāpannas et ils ne sont jamais destinés à renaître dans un état malheureux, et ils sont tous en voie d’atteindre la compréhension parfaite.

Dans cette doctrine bien expliquée […] tous les disciples qui suivent la voie selon la droiture et selon la confiance sereine sont tous en voie d’atteindre la compréhension parfaite.

Dans cette doctrine bien expliquée […] tous les disciples qui ont au moins une simple confiance sereine sont tous destinés à naître dans les états célestes. »

Ainsi parla le Bienheureux. Les bhikkhus, heureux, se réjouirent des paroles du Bienheureux.

The Middle Discourses

|_A. The First Fifty

|__III. The Chapter of Similes

MN22. La parabole du serpent

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